Mémoires du Donjon

 

Samedi 9 février 2013, 12h15. Lisbonne,  parc des Nations.

 

Dans quelques heures je serai dans l’avion du retour. Pour l’instant me voilà au bord du Tage, traversé par l’épine dorsale sinueuse du Pont Vasco de Gama, la brume matinale s’est levée depuis longtemps et tout est bleu dans le soleil hivernal, l’air si pur – bouffées d’océan, parfum des pins de la promenade – et soudain une réminiscence étrange s’impose à moi : cette ambiance maritime, cette sidération de soi meme, ces promeneurs de bon aloi (familles, amoureux, enfants et petits chiens ..)  me rappellent irrésistiblement  le matin de ma renaissance, il y a bientôt cinq ans, et les premiers mots de mon premier récit de toi :

 

Ce matin, après le rêve étrange et  sombre de cette nuit, la magie se prolonge avec cette promenade ensoleillée le long du front de mer, sous un incroyable ciel bleu, la mer qui ramène ses vagues frisantes d’écume, et je me balade sous les palmiers, souriant aux anges parmi les passants tranquilles du dimanche matin. Sensation de renaissance, pur bonheur en fait, victoire sur moi même arrachée de justesse au temps voleur de vie.

 

Et maintenant, au lieu de la renaissance, c’est comme une fin - signée de ton dernier message si déprimant que  je ne veux pas y répondre, la boucle est bouclée, j’ai perdu la guerre. Tu as répondu à ma question ultime, tu ne veux pas me revoir. Toute cette lutte pour rien, et même cet enthousiasme de moi ces derniers jours, rien n’a servi à rien : cette fois, oui, j’ai perdu la guerre, mon humilité, ma demande de pardon, n’ont pas suffi à te fléchir, l'autre méthode fut plus payante .. 

 

Etrange n’est ce pas de se retrouver dans le même bleu, la même pureté de l’air cinq ans plus tard, une sorte d’allégresse triste s’empare de moi, je suis hébétée de chagrin, et je suis comme le héros du film qu’on aime tant « à la fois désespérée et heureuse ».

 

2012 -

Tu te souviens l’année dernière ? au cœur de ta plus vive haine de moi (qui était encore de l’amour  j’en suis certaine) tu m’avais offert cette trêve à la veille de mon rituel voyage d’hiver à Lisbonne, tu m’avais cité des dialogues entiers de ce beau film d’Alain Tanner, comme un viatique mental, on était alors à mi chemin, entre les deux rencontres que tu m’avais promises ("avec relations sexuelles", je le précise, même si tu t’y pliais avec haine et  même si je n’en croyais pas un mot, maintenant j’y crois).

 

Paul, voix off  : « j’ai rêvé que la ville était blanche, que la solitude était blanche, que le silence était blanc »

 

Paul à Elisa « « je crois qu’on peut aimer deux femmes en même temps .. je suis à la fois désespéré et heureux »

 

Elisa à Paul « je suis contente d’être une des deux femmes que tu aimes »

 

(sauf que moi tu ne m’aimes pas ! c’est un détail ..)

 

« Je suis contente », c’était mon mantra de l’année dernière, même époque. (maintenant c’est « pense au tabouret » pour me souvenir encore un peu  que j’ai  fait l’amour un jour ..)

 

Contente que tu me parles de ce film, au plus fort de ta haine.

Contente de t’avoir rencontré en janvier, et qu’on aie fait l’amour de cette étrange façon, toi stimulé par cette haine, moi soumise ..

Contente de t’avoir infligé ma jouissance inappropriée  en de tels moments !

Contente de ton cours sur les palmiers avant que tu me laisses sur les plages.

Contente de te revoir encore une fois, une seule, mais ..

 

Et tu m’avais même écris pendant ce  séjour de 2012, envoyé la photo de ton mimosa, qui était en retard, maladif, mais que j’ai pris comme un cadeau, un signe d’espoir.

 

2010

La première fois que j’ai vu Lisbonne, deux mois à peine après toi (encore une ville partagée, et ce ne serait pas la dernière) – j’ai été éblouie. Au point, pardon mon ange, que tes tendres messages passaient au second plan, folle que j’étais !

Moi  éblouie par la ville blanche (et rose, jaune et bleue, maisons  à facettes brillantes de lumières et de couleurs, aussi !) ravie par les mouettes sur les places, l’odeur de l’Océan tout proche, et ces étranges dessins sur le pavé des trottoirs étincelants, le soleil d’hiver, la douceur de l’air, les trams, les gens, mais c’est toi qui m’avais montré le chemin, et désormais cette ville je m’y sentais chez moi, elle me serait aussi indispensable que toi dans ma vie.

 

Tu m’écrivis beaucoup les trois premiers jours :

 

bonjour bébé.
j'ai fait un petit tour sur le site météo et cela semble s'arranger pour toi: plus de pluie jusqu'à ton départ apparemment. temps couvert dimanche. mais jusqu'à dimanche, un temps variable ("quelques éclaircies" pour vendredi et samedi). et demain matin: belles éclaircies...demain matin, probablement la plus belle période ensoleillée de ton voyage et un doux 15°c. Belém? le Castelo ?
 
ça me fait tout drôle de te savoir là-bas...d'arpenter les mêmes rues, les mêmes musées, les mêmes monuments... 
 
Je pense à toi.
 
je t'aime.
 
PS: n'oublie pas de goûter au vinho verde!

 

Moi : « j'aurais du emporter ta carte verte, elle était valable un  an et j’ai  gaspillé 5O ct! quelle galère surtout pour en avoir une autre!je n'avais pas de monnaie, juste ton billet de cinquante! je vais vite mettre les photos sur mon netbook, je t'en enverrai une ou deux.
Moi aussi j'aime l'idée qu'on a arpenté les mêmes rues, et je suis toujours contente en voyage, les seuls "nuages" qui m'importent ce sont ceux qui cachent le soleil! pas les autres, tu me suis ?



j'y repense, j'adore tes euphémismes météo (meme si j'aime pas trop que tu me parles météo car .. ) «

 Toi : grrrr!!!!  sous le soleil ça change tout! tu me rends la monnaie de ma pièce (avec Venise...). et puis tu fais de très belles photos, j'ai toujours su que tu avais un oeil de photographe...
 
Pour la météo, il n'y a pas d'euphémisme...n'y vois aucune malice.. et surtout rassure-toi: tes cuisses sont un piège qui fonctionne toujours aussi bien...envie de toi en ce moment, voilà j'ai craché le morceau ....
 
Pour ton programme, je te propose une suggestion: inverse ton programme de samedi avec dimanche. En effet dimanche temps sera couvert alors que samedi il y aura de belles éclaircies...donc je te suggère d'aller samedi à Belem pour de très belles photos, car ce serait dommage de les faire par temps couvert. 
Oh oui, tu as bien fait et je t’ai écouté !
 
je t'envoie deux photos de moi de La Réunion, une prise sur la plage (à La Saline, je crois...), l'autre sur le volcan de la Fournaise (dans le cratère du Dolomieu). Ne t'inquiète pas ce ne sont que des fumerolles...

impressionnante la photo sur le volcan, n'est-ce pas? mais en matière de nature volcanique je connais une petite fente bien ourlée qui a besoin de temps en temps d'être rassasiée ... . parfois j'ai l'impression que dans tes veines coule de la lave en fusion... 
 
Et tes photos du jardin botanique.. c'est lequel au fait? tu as vu ce strelitzia et ces daturas...en fleurs en plein mois de février!!! le climat est extrêmement doux à Lisbonne..

Je viens de m'apercevoir que quand tu seras rentrée, je serai déjà parti en Suisse...Je te connais, ça va être un supplice pour toi d'attendre jusqu'au mardi  d’après (en l'occurrence le 16 février), alors je te rassure comme je peux.
 
Comme je crois, tu ne vas pas aller écouter du fado, je t'envoie ces deux morceaux que j'aime beaucoup. ils sont du groupe Madredeus (prononcer Madrédéouche). j'espère que tu pourras les recevoir. ils vont bien avec le côté romantique de cette ville..
 
alors oui, j'ai visionné les vidéos et celle du double dong me rend comme fou..Il faudra absolument que je la copie sur ton netbook avec une clé la prochaine fois que tu viendras...est-ce ta chaude voix de salope? est-ce l'incroyable bruit humide quand l'objet pénètre tes chairs? est-ce le fait qu'il s'enfonce dans tes deux trous aussi vite  et facilement qu'un escargot rentrant dans sa coquille? ça me donne FAIM...
 

Est-ce l'éloignement? ces voyages en parralèlle? ou tes vidéos que je viens de visionner? Il faut que tu saches que je t'aime, il faut que tu saches que j'ai besoin de toi, il faut que tu saches que j'ai envie de toi..

A bientôt, mon amour, pour de nouvelles aventures.
Peut-être à ce WE, sinon à mardi..


Cela, c’était le vendredi soir, je partais le lundi matin, et alors, ce fut le silence, sans autre préavis. Tu étais censé être de garde le week end, donc j’attendais chaque soir tes messages (samedi, dimanche) et rien, tu ne répondais aux miens, de plus en plus angoissés ! j’ignorais bêtement ton « peut être » !

Ce dimanche à Oriente, seule sous la pluie battante, réfugiée dans les abysses de l’Oceanorium, cherchant des explications, étais tu mort ? accidenté ? plus sûrement, oui, tu ne m’aimais plus et c’est désespérée que j’ai terminé ce voyage commencé dans l’allégresse.

 

Je n’ai jamais su la vérité sur ce silence soudain, tu m’as raconté que ta garde avait été supprimée, mais pourquoi ne pas m’envoyer un petit mot en douce ? quitte a faire un saut au labo si tu as vraiment peur que ta femme te surprenne sur l’ordi familial ?

Suite à cet impair, s’en suivit une période d’un mois et demi, très étrange, où je sentis, à ton retour de Suisse, que déjà tu étais prêt à rompre ..

 

Je te fuis mais je fuis tout le monde. j'ai besoin de tirer le rideau et de réfléchir. attendre surtout que cette garde soit passée, tant mon stress professionnel peut obscurcir mon jugement. je t'ai toujours dit que je te dirai la vérité. A l'heure actuelle, je ressens pour toi une immense tendresse mais je n'éprouve plus de désir sexuel, je n'ai plus envie de faire l'amour même avec toi.  Déjà !!J'ai le sentiment d'avoir fait avec toi tout ce que nous pouvions faire en matière de délires et de fantasmes. le désistement de Naty et Guy est une bonne chose: je me serai forcé.
Je t'ai toujours dit que je te dirai la vérité et que le jour où je voudrais arrêter, j'arrêterai.. Laisse moi encore quelques jours, le temps de passer la garde et d'être moins stressé. Et je te dirai.

 

Cela sonnait,  clairement, comme une menace ! .. l’avais je compris ? oui mais pas écouté.

 

Et puis tu as du juger que tu n’en avais pas fini avec moi, il restait tes objectifs : notre soirée au labo contre notre soirée à quatre, c’était aussi calculé, pesé, que ça ! « donnant donnant » disais tu cruellement.

Et enfin tu m’as dit « c’est trop tôt, je te garde » !  La encore, menace voilée: un jour il ne sera plus trop tôt, il sera temps ..

 

2011

Le second Lisbonne, c’était en février 2011, rituellement oui, on était alors au début d’une période de retrouvailles encore fragile, après la première rupture de septembre (toujours septembre, hein, tu es décidément un homme d’habitudes !)

Comme en 2012, cela suivit le même processus  : janvier plutôt froid, mars également, mitigé, et enfin l’explosion printanière, la chambre 233, la baignoire, l’été de la maison des années 20 et enfin nos trois semaines si douces en septembre .. avant l’implacable, l’inexplicable rechute au moment où ça va le mieux (c’est ça qui me rend folle).

 

Bref, revenons à Lisbonne, où je m’étais en quelque sorte réfugiée, pour me préparer à la rupture. Je voulais vraiment te libérer, et puis .. Le second soir, j’ai eu la surprise de te voir connecté, et puis tu m’as parlé .. et mes sages  résolutions ont alors fondu comme neige au soleil!

 

bonsoir, bébé!

j'ai vu tes photos (belle photo de ton beau visage entre autre..) mais le temps a l'air aussi gris qu'à mon époque

hello bébé!

hello, on dirait que ça va ?

oui!

depuis hier ?

miracle de la technologie: on communique à 1500 km l'un de l'autre

oui j'allais le dire, c'est si loin ?

oui je pense

 

 

pas facile tu sais de surmonter la crise de cet automne, mais je ne t'en veux plus, c'est déjà bien

je me demande bien de ce quil va ressortir de tout ça,

en tout cas je ne suis pas indemne

j'étais presque prête à te rendre ta liberté .. hier sur la place du Rossio ..

je sens que tu dresses l'oreille, à défaut d'autre chose lol

lol, je n'y crois pas. et ce serait probablement une erreur de ta part.

ah oui?

tu crois que ça m'intéresse une relation sans amour ? surtout quand on l'a connue autrement

et tu sais il n'y a que des preuves d'amour

mais pour en revenir à l'année dernière, je n'ai tj pas eu l'explication .. pour le silence de Lisbonne

je crois que c'était une période de basse eaux

oui certes mais est ce une raison pour me planter la ? surtout que j'étais au courant du phénomène (je crois)

non. mais arrête de me culpabiliser lol

on est un couple de masochistes

oui pardon je ne veux surtout pas ça

non non, moi j'ai le gout du bonheur !

j'aimerais que tu l'aies davantage

ça dépend des moments. mais là je suis pas mal.

tu l'attribues à rien de particulier ,pourtant ?

non. à des fluctuations.

 

tu ne t'es pas forcé au moins ? si ?

à quoi?

a être comme ce soir

me dire bonjour bébé etc

non, si je me suis connecté, c'est que j'avais envie.

oui je sais que tu es capable de ne pas te connecter donc ..

et jeudi soir dernier tu as eu envie tard!!

et ensuite, plus le vendredi!

je suis donc partie "sans biscuit"

mais je ne t'ai fait aucun reproche, je ne veux plus être comme ça

ce soir, tu vois, je te ferai volontiers l'amour

je pense moi aussi souvent à ton corps, à toi ..

si près si loin

so nach so fern

oui, en allemand c mieux, plus romantique ..

lol

allez j'y vais bébé. je dois filer. boa tarde

boa tarde (j'adore cette langue, on dirait que les gens mangent de la guimauve!

 

 

Voilà, je crois que j’ai fait le tour .. sans parler ici de mon long exil du printemps 2012, totalement inutile (ou utile ?)  d’ailleurs puisque ce fut le début de notre dernière belle époque ! l’éloignement aidant, sans doute, comme c’était romantique, hein ?

 

Je n’en veux pas à Lisbonne, d’avoir été le théatre de la rupture, elle m’a même protégée du clash, comment pleurer dehors ? et devant les gens de l’hôtel ?.

Je  l’aime toujours autant, Lisbonne,  pour elle même, parce que je m’y sens mieux que partout ailleurs, même dans le pire des chagrins. J'irai à nouveau y passer quelques semaines, à l'automne.

 

 

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Mar 12 fév 2013 Aucun commentaire