Mémoires du Donjon
Retour dans la ville blanche, pour un second « exil », comme si j’avais voulu réitérer l’histoire de l’année dernière, quand le premier, au printemps 2012, avait initié la dernière ligne droite des trois belles rencontres avant liquidation !
En fait non, je cherchais surtout à finir en meilleur état, un été d’assignation à résidence très éprouvant après le fiasco de début juillet. Pour attaquer la mauvaise saison avec plus d’énergie et prendre un nouveau départ. Sans lui s'il le faut.
Et je ne me suis pas trompée, Lisbonne m’a prise dans ses bras, comme si rien n’avait changé, distillant son élixir d’oubli et de métamorphose, et c’est sous l’influence de son pouvoir magique sur moi que s’organise ici ma vie d’aventure et de sérénité. Faite de découvertes et de redécouvertes, de longues marches, de rêveries à l’ombre ou dans les palais rococos, les églises profondes.
J’ai traversé le Tage en bateau, sur le pont du 25 avril si semblable à celui de San Francisco, je suis allée au point le plus occidental du monde européen, le celtique « Cabo da Roca » etc etc ...
Et j’ose dire que cette vie loin de ma routine quotidienne me fait le plus grand bien.
Comme la fois d’avant, c’est moi qui hélas a contacté T la première, un peu avant mon départ, et il m’a répondu, mais curieusement sur sa boite professionnelle interdite, et sans me gronder de l’avoir utilisée – car sa femme parfois la regarde -
Comme si sa messagerie la notre, il voulait l’oublier, la détruire à sa façon, par le silence total. C’est clair. Il est très malin mais je le perce à jour. Il a bien du ricaner quand il m’avait rendu le mot de passe ! ce n’était pas bon signe, comme les deux autres fois ..
Alors, voila, notre relation étrange se termine comme elle a commencé, par un échange consenti de photos, sauf que les photos ont vraiment changé de sujet !! et passent par un site, pas par nos messageries – mais c’est mieux que rien. On peut commenter et s’envoyer des message privés.
Finies les images érotiques de ses frasques aujourd’hui reniées par le pénitent, finies ses demandes incessantes de photos de moi « spéciales », et ses commentaires adorablement crus aussi bien que littéraires qui me mettaient dans tous mes états, maintenant ses mots sont ennuyeux comme la pluie ..
Pour ce qui est de ses photos ne sont de sa part que lacs et forêts purs et glacés du grand nord canadien, de la mienne le meilleur de mes escapades lusitaniennes ensoleillées. Lui le Pacifique, moi l’Atlantique ..
Des continents, des océans nous séparent. Mais il n’est pas Titus, ni moi Bérénice (« Dans un mois, dans un an, seigneur comment souffrirons nous que tant de mers me séparent de vous ?»)
Cette ressemblance bizarre entre le début et la fin m’amuse autant qu’elle me désole ! et je me demande s’il s’en rend compte, je n’ose pas lui en parler, même pour en rire. De peur qu’il ne se vexe et coupe le contact pour de bon.
Entre nous la complicité est dans un profond sommeil.
Rien de personnel, pas de questions venant de lui, autres que géographiques, entre les courtes lignes, pas de message subliminal, pas de « rebondissement », rien venu de moi ne le touche plus ... RIEN.. et je me demande tous les jours si je préfère ce « rien » débilitant, au « rien du tout » !
Je crains que oui, et ça m’énerve. Je suis lâche, pas courageuse comme il faudrait. Je me contente de me retenir, de me calquer sur son attitude glaciale, mais j’ai du mal, avec mon caractère enjoué et spontané, alors que lui est devenu un vrai bonnet de nuit lui naguère si réactif et plein d’humour ..
L’essentiel est que je ne pleure plus. Je suis encore celle que tu aimais : ici j’ai connu tous les états possibles, les affres comme les bonheurs de la passion, ton absence, ton silence, et soudain tes messages pressants, merveilleux, inattendus .. bien sur ceux la je ne les attends plus, c'est l'espoir qui fait souffrir, en fait ..
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Ici j’ai même pensé il y plus de deux ans, à te libérer, un soir sur la place du Rossio, et la grandeur de mon sacrifice prochain m’avait tiré des larmes ! Mais le soir même, tu te connectais sans prévenir « envie de me connecter, envie de te parler … » alors adieu le sacrifice !
La seule différence c’est que tu me désirais toujours, même fachés. Si je pouvais retourner à l’année dernière, jamais je ne t’aurais mis à l’épreuve du feu, et je serais restée toujours, celle que avec qui tu étais toujours vainqueur .. Pas comme toutes les autres. Mieux, bien mieux.
Je ne peux m’en prendre qu’à moi même et à ma vanité.
J’essaie alors de faire comme si, garder le subtil déhanchement de la femme comblée amoureusement, me tenir droite, alors que je n’ai pas fait l’amour depuis plus d’un an. L’illusion est presque parfaite. C’est une question de discipline, je dois me surveiller.
Il me suffit de repenser à nos étreintes, je les vivais toujours comme si c’était la dernière fois que je t’avais entre mes cuisses, je te disais « regarde, regarde comme c’est beau », au lieu de te dire « ne me quitte jamais, garde moi .. » .. je savais que tu étais obsédé par l’idée de revenir là, à la fois pour notre plaisir, et à la fois pour ta honte et ta culpabilité, et un jour d’été cela avait été trop fort, trop bien et tu as décidé cette fois pour toujours que ..
j’ai perdu la guerre et je me suis pourtant bien battue .. Il y a par définition dans une guerre toujours un vainqueur et un vaincu.
Je dois vivre en rêve ce qu'on a vécu, en silence, me dédoubler, ma raison va t elle tenir entre le fantasme et la réalité ?
Je pense souvent qu'il a bien tort de se priver de moi, c'est signe que mon ego reprend le dessus ?
Je suis heureuse, et malheureuse. Tu es là sans être là, cette ville me rappelle toi, mais elle est aussi la mienne, avec ou sans toi.
Je voudrais y rester toujours et ne plus revenir dans les zones dangereuses du quotidien.