Mémoires du Donjon
Je rentre du cinéma et je trouve un message de toi, refusant qu'on se parle sur Skype : c'est encore " vraiment prématuré" à l'avenir, je ne dis pas. quand je serai sûr qu'il n'y a plus ni ambiguité ni arrière-pensées entre nous.
A cet instant là pour moi ça veut dire "jamais" - jamais il ne changera d'idée.
Pour lui c'est affaire classée. Lisant ces mots, j'en ai la brutale certitude et cette ligne me fait l'effet du couperet de la guillotine, sauf qu'après la guillotine, il faut survivre ..
La demande d'argent lui a fait un petit électrochoc il y a deux semaines, j'en suis certaine, je l'ai vu à certains symptomes que je connais bien et je comptais sur cette réaction pour qu'il préfère "essayer" plutot que payer.
Mais nous avons repris cette ennuyeuse vitesse de croisière, et la perspective des billets au début du mois prochain ne suffit plus à me calmer. Ce sont d'autres billets que je voudrais, nous redonner une chance.
Je vois juste qu'il y aura un mois de plus de passé "pour rien". du temps encore du temps gagné pour lui, perdu pour moi.
Où il pourrait me rire au nez si l'envie de vengeance me reprenait.
Où il ne craindra plus rien de moi, ni de lui, pour cause de prescription.
Où il ne m'emmènera jamais plus dans la pinède ou même boire un café tout en haut, dans cette magique lumière d'automne - il y parlait de la fin, déjà, alors qu'on était dans la vie pour encore pas mal de temps !-
Où nos amours ne seront pas plus vivantes pour lui que les autres d'avant, meme si elles ont duré plus longtemps parce que je l'ai voulu et qu'il s'est preté au jeu un moment.
Déjà déprimée par le film je rentre et trouve ce message là en pleine nuit.
Je réponds sans rien laisser paraitre de ma déception, éditant dix fois le message, méditant sur quoi faire et ce qu'aurait fait ma soeur à ma place, ce qu'elle m'aurait conseillé, elle qui avait cent fois plus d'expérience que moi.
J'essaie enfin de me coucher et de dormir mais impossible, surtout une nuit de pleine lune .. des images viennent me hanter, ravivées par certaines scènes du film, je n'ai pas envie de rallumer l'ordinateur, on y voit l'heure qu'il est et j'ai froid. Je vais chercher un cahier, un stylo, une bouteille d'eau et un Xanax et sous la couette, je commence à griffoner ce que je retranscrirai plus tard
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Le plus souvent, elle lui ouvre la porte, il a toqué doucement , ou alors, ils sont dans la petite cour derrière le donjon, c'est lui qui ouvre la porte et joue les maitres de maison. Mais la seconde séquence est la même : sans rien dire et avec un sourire enigmatique, il pose ses mains sur elle doucement, - les hanches souvent - penche la tête pour l'embrasser tendrement sur la bouche. Prise de possession. Simplement il lui fait froler puis sentir son désir à lui, et ce geste inconnu d'elle au début, terriblement macho pourtant, l'avait fait fondre dès la première fois.
Et puis tout commence, c'est évident, inévitable, magique. Une fois dans l'ascenseur, tout de suite, sans une parole. elle ne sait plus comment ils ont pu ouvrir la porte de la chambre, se dévêtir, basculer sur le grand lit.
Parfois elle n'était pas tout à fait prête. Il s'agenouillait devant elle assise sur le lit ou sur un canapé du donjon, et l'aidait à mettre les sandales qu'il aimait, surtout les rouges ou des nouvelles, tout en caressant ses jambes sur qui elle venait d'enfiler (et parfois de filer!) des bas noirs lisses et brillants rehaussés de dentelle en haut des cuisses; il ajustait les boucles des sandales, parfois se trompait, recommençait, elle riait, il levait sur elle ses beaux yeux bleus enigmatiques, elle pensait qu'il était son chevalier servant et se renversait sur le dossier, triomphante, les cuisses écartées, attendant la caresse qui ne tardait pas .. le contact de sa langue sur sa chair brulante -et cette langue lui semblait fraiche, presque froide, serpentine ..
Une fois il s'était allongé nu sur le lit - il se déshabillait toujours entièrement pour faire l'amour - pendant qu'elle était à la salle de bains, le sexe dressé, lui muet, comme sidéré dans son désir - et sa honte parait il -
Alors elle n'avait pas résisté et s'était tout de suite empalée sur lui, sans prendre le temps de le caresser, de le sucer, tout de suite le prendre, le surprendre, puisqu'il s'offrait, et s'en était suivi une des plus mémorables intenses séances de baise qu'ils aient connues!
Comme ils aimaient ces premiers instants après parfois plusieurs semaines sans se voir, où toujours un délicieux trac se melait à la douceur impérieuse du désir, à l'art de se plaire et de se faire plaisir, comme il savait vivre et vibrer alors, et que dire d'elle ?
Avec lui l'amour dure des heures, enfin deux, trois plus tout le reste, se parler, boire un verre, échanger sur tout et rien, sur leur amour et leurs projets, et jusqu'à ce dernier matin d'été, jamais fléchi, au contraire, l'étonnant crescendo de la dernière année, et finir comme ça ? elle ne l'acceptera jamais dans sa raison et dans son coeur si rudement mis à l'épreuve, et que l'épreuve dure, que s'est il passé, pourquoi ?
Leurs corps si bien accordés, se répondant, s'émerveillant d'eux memes, c'est tellement bon! Ensuite ses joues roses à elle, les étoiles dans les yeux, les années abolies. Elle, l'aimée, l'élue .. sa soumise et sa maitresse, celle qui "marquait des points", son "ame soeur, sa pute chérie, son bébé" ..
Et meme quand il ne disait plus je t'aime c'était croyait elle encore de l'amour, ça ne pouvait rien etre d'autre.
Il faut qu'elle pense comme si c'était encore maintenant ces fêtes promises et tenues, ces rendez vous en toutes saisons, ces billets de train, booking,com, quel hotel ? les bas noirs qu'elle doit acheter, ce qu'elle va porter pour lui, lui demander ou lui faire la surprise ? toutes les organisations, toutes les tenues, les ambiances, la couleur de la mer, les guirlandes de Noël sous le soleil insolent, elle les revoit en accéléré comme quand on fait glisser rapidement les pages d'un gros livre pour faire du cinéma.
Et l'essentiel avant tout.
Les perles de sa sueur qui tombent de son front à lui sur ses joues à elle, comme s'il y semait ses larmes futures.
Les corps emmêlés, les peaux glissant l'une sur l'autre avec le claquement huilé de leurs transpirations, impudique et animal mais on s'en fout, elle se tourne, se retourne, il change de rythme, la surprend, les mots chuchotés, tendres et crus - salope, garce, je t'aime, j'ai été fou de vouloir te virer, reviens quand tu veux, je t'appartiens, tu la sens bien ? tu aimes ? - oui, plus fort, encore, reste, regarde comme c'est beau ..
L'amour en pleine lumière parfois, les dernières pudeurs abolies, la robe de l'olympia qu'elle envoie par dessus les moulins parfois, oui enlève la, rien ne les arrete .. mais aussi la pénombre, le secret, les jouissances furtives, nouvelles, et soudain celle là : elle n'est pas allé la chercher, pas du tout, elle s'impose par hasard, perte de controle, septième ciel, inoubliable surprise du chef!
Laisser vivre la tendre obsession, retrouver en esprit son odeur, la texture de ses cheveux, l'élégance de ses mains, le don de lui, le plaisir de posséder et d'être possédée, les musiques entendues mais il y avait eu aussi des moments sans musique, encore plus troublants, excessifs, dans la pinède, en attendant des invités et surtout, le dernier matin tout entier, le dernier.