Mémoires du Donjon
Voyage pluvieux, voyage heureux !
J’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur, et après tout c’était la première fois que je découvrais ta ville sous la pluie, une pluie toute gentille d’ailleurs, éparse comme on dit, et intermittente, dans une atmosphère douce et sans vent.
L’humidité de la mer toute proche faisait que le pavé restait mouillé, luisant, et reflétait à la nuit tombée les lumières de Noël, la lueur des réverbères enguirlandés ; le marché de Noël était installé sur la grande place, mais ce n’était pas les mêmes animaux que l’année dernière, cerfs et ours bruns dans la fausse neige se découpant alors sur un improbable ciel bleu !
Cette fois, des babas russes géantes, un gros bonhomme de neige et des oursons qui dévalent une piste de ski, et toujours la même marchande de gâteaux au nougat, et la petite locomotive fantaisie où l’on fait des marrons chauds.
Je suis venue la veille de nos retrouvailles, effrayée par un possible retard de train, ces retards étant devenus très fréquents depuis un an, alors qu’avant jamais. Viendrait il encore, maintenant, me chercher à la gare pour gagner du temps comme il a du le faire deux ou trois fois si galamment ?
Cela me donnait aussi le temps de revisiter ma seconde ville, et même l’après midi, de me rendre en bus sur les plages du Mourillon, rien que pour voir la mer en hiver (bien qu’on soit encore en automne)
Un charme hors saison sur cette promenade déserte : à peine quelques joggeurs, des amoureux de tous ages, que j’enviais, car ils semblaient heureux et sans problèmes, des vieilles dames avec ou sans chien.
Tous les restaurants de plage étaient fermés, alors que j’espérais y prendre un café : le mobilier en bois exotique encore en place, le présentoir des menus vide, les parasols pliés sous les auvents. Ambiance « un homme et une femme » ..
Je me suis promenée longtemps, savourant l’air marin, charmée par le silence juste rompu par le rire des mouettes, et la puissance des vagues qui déferlaient sur la plage jusque sur la promenade.
A la nuit tombante, j’ai repris le bus, des jeunes filles chantaient très fort sur le banc du fond, insouciantes et folles ! On est passés devant le bar où avait eu lieu notre rencontre infructueuse avec Paul et Anna, du temps où l’on avait un semblant de vie sociale toi et moi, j’ai même repéré la petite rue à l’angle de laquelle tu m’avais rejointe avant d’entrer dans le café, essayant de me faire peur.
Puis devant la voûte où l’on se séparait parfois avant que je reprenne la route, si tendrement, mais avec la certitude de se revoir. Du coup j’ai commencé à être triste, alors qu’en venant je ne l’étais pas.
Je suis descendue au centre ville, découvrant ainsi pour la première fois les décorations de Noël illuminées (l’année dernière j’ »habitais » en banlieue et n’avais pas eu envie de sortir le soir ), ces lumières me donnèrent du courage, j’ai toujours aimé ça les lumières de la ville depuis que je suis toute petite .. il y avait encore du monde, les boutiques n’étaient pas encore fermées, je suis entrée un moment dans la cathédrale car pour une fois il n’y avait pas de mendiant devant la porte.
J’ai fait une prière à Sainte Rita, patronne des causes désespérées, ainsi qu’à St Antoine, qui est le patron de Lisbonne et retrouve ce qu’on a perdu.
Puis je me suis perdue, moi, dans les ruelles faiblement éclairées de la vieille ville, il y avait dans cette errance nocturne quelque chose de « modianesque », qui évoquait en particulier son roman « Rue des boutiques obscures », la nostalgie, le mystère, la peur .. je me suis secouée, ce n’était pas le moment de me laisser abattre, demain, il faudrait assurer ! En somme retenter le coup du Trois Juin, mais j’étais incapable de savoir si cette fois mes chances étaient plus faibles, meilleures ou égales à celles de ce jour là .. j’ai eu tendance à pencher pour « plus faibles » ..Stooop !
Mes pas m’ont portée vers ton lieu de travail, tout proche de la grande place, je me suis soudain souvenue du code, facile à retenir, alors je me suis dit que je le taperai, et que j’entrerai pour voir l’escalier où j ‘étais montée subrepticement et dans le noir ce soir là. Je ne risquais pas de te rencontrer, tu ne travailles pas le lundi.
Mais la porte cochère était pour une fois grande ouverte, j’ai pris une photo de la plaque professionnelle, et de la volée d’escalier qui m’emmena au septième ciel amoureux ..et toi aussi tu y étais avec moi ce jeudi là ..
Bon, ne pas se laisser abattre, je récitais un mantra d’espoir tout en regagnant le cours Lafayette brillamment illuminé comme de gloire ! et j’ai eu faim.
Les brasseries du port ne m’inspirèrent pas, elles étaient presque désertes en cette saison et ma présence de femme seule aurait dérangé, moi la première ! Je me suis donc rabattue sur le Mac Donalds voisin de mon hôtel, et j’ai retrouvé la chambre 233.
Oui, j’avais eu la chance d’obtenir une de celles qui sont rénovées audacieusement par ce grand hôtel de congrès, -notre préféré - dans une harmonie de couleurs taupe, gris, relevées de dessins rose fuschia de style seventies, avec une moquette noire à pois blancs et une belle douche à l’italienne. Le lit est un délice, tout est neuf, fonctionnel, en janvier, j’avais eu la même, celle d’à coté, c’est la que tu m’avais apporté du Beaumes de Venise, des mimosas du fleuriste et plein d’argent ! tout se passerait donc bien, les hommes font peu attention à cela, mais leur cerveau reptilien, oui !
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Fait étrange, le matin tu t’es connecté de bonne heure et m’a répondu deux fois ! c’était déjà de très bonne augure, car depuis des mois, tu attendais trop souvent la fin de matinée ou même de journée pour me contacter .. Tu m’as dit venir vers 14 h, je t’ai donné le numéro de la chambre, tout en te laissant la possibilité d’un plan B .. le ton était assez joyeux et encourageant, ça le ferait sûrement .. Son mantra à lui c’est de m’écrire à la fin de chaque mail, « je t’embrasse partout, partout, partout » cela depuis notre « rupture ».
Puis je suis partie me balader, car il faisait soleil ce matin là et j’avais encore à prendre les mêmes photos que d’habitude mais dans un état d’ esprit, une saison, et un angle différents.
Je crois détenir le record du monde pour le nombre des photographies de la ville de T. et si mon appareil était plus sophistiqué, j’essaierais de les vendre !
En même temps, je guette mon portable. J’ai passé tout le voyage a archiver les derniers sms qui me restaient visibles, car la carte était pleine. Il s’agissait surtout de mes propres messages, j’étais émue en les relisant, tout cela a disparu aussi, peu à peu (allons secoue toi c’est pas le moment !) le dernier sien, c’était « je suis en bas, prends tes chaussures de marche » - on était loin des talons hauts qu’il affectionne ! autres temps, autres moeurs - et je n’avais lu que les quatre premiers mots : (voir mortelle randonnée).
Le dernier sms « bien » et je dirais « normal », c’était ... le 24 juin : « Merci pour ces journées, bébé, j’aimerais que tu sois plus sereine, je t’aime »..
Oui, il a abandonné son portable, il ne doit même plus avoir de carte car il ne me répond jamais. A quoi lui servirait ce portable maintenant qu’il n’a plus de vie secrète ?
Je finis par rentrer, je finis par me demander s’il ne me posera pas un lapin ..
Je commence à me préparer, je me maquille, me parfume, change de soutien gorge et met un petit haut tout simple mais sexy. Il aime faire l’amour avec une femme en bas, en chaussures, et surtout pas les seins à l’air, il est un peu fétichiste .. J’ai pourtant des seins pas mal du tout !
On frappe doucement à la porte .. cela doit être la femme de ménage encore car elle a oublié de renouveler les serviettes.
J’ouvre ..et c’est lui ! pour la première fois sans les sms réglementaires : « j’arrive dans 15 minutes » .. « je suis en bas » … « je peux monter ? » telles en étaient les variantes qui me faisaient rire, attendrie ..
Là c’est lui direct, décidément fâché avec ce foutu portable, mais craquant avec ses cheveux un peu longs et qui bouclent sur le front, j’en suis contente, en septembre il avait les cheveux trop courts et ça lui donnait un air encore plus dur avec ce qu’il avait à me dire, en plus !
Malgré la douceur du jour, il porte un gros pull irlandais beige foncé sous sa veste en cuir épais, moi j’ai les jambes et les pieds nus et ma jupe léopard « de ville » (on avait prévu la jupette en vinyl !) Je suis confuse, ça commence bien ! mais finalement on rit et on s’embrasse, ça fait simple .. Oui, il me serre contre lui et je sens tout de suite son désir, comme chaque fois ça me bouleverse, me donne confiance, m’excite, j’adore ça, et la femme désespérée et crispée depuis trois mois soudain devient chatte et câline comme par enchantement .. en présence de son prince..
Il veut m’aider à m’habiller, alors qu’il a commencé à se déshabiller, lui, il s’accroupit à mes pieds alors que j’essaie de passer mes bas noirs Dim Up, me caresse les chevilles, les regarde, ça me trouble, j’embrasse et caresse ses cheveux bouclés, je met le second bas à l’envers, puis non il était à l’endroit, donc je le repasse et le monte sur ma cuisse pour voir avec horreur qu’il est filé ! j’avais cru avoir vérifié pourtant ! je sais qu’il déteste ça (voir les Lauriers Rose) mais je m ‘empresse de lui sortir mon arme secrète, une autre paire de bas, en résille rouge ceux la ! Je me lève, farfouille sans succès dans la valise, il s’inquiète on dirait, mais non les voilà, et on recommence, je quitte les chaussures qu’il avait lui même attachées, passe les bas, il les aime bien ceux la, et me remets les chaussures, les rouges vernies que je ne porte qu’avec lui car incapable de marcher avec normalement ! Et la jupette qu’il m’a offerte l’année dernière.
Confuse encore, je lui avoue ne pas avoir eu le temps, du coup, de faire pipi .. je sais qu’il n’a pas contrairement à moi de pudeur sur ces choses la. Ça me fait une petite humiliation bien gentille ..
En revenant enfin prête, je trouve mon « homme objet » comme il se plait à se décrire maintenant, étendu sur le dos, nu comme Adam, et bandant comme un cerf, magnifique, mince et musclé, totalement abandonné à ma convoitise !
Il se donne à moi comme il l’avait promis, finalement il fait toujours ce qu’il promet : ne plus m’aimer, se donner à moi etc … toutes sortes de choses ..
Il se laisse photographier avec une certaine complaisance : étonnant pour un homme qui a peur du chantage, non ? Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion, en plus cela le « chosifie » davantage et je trouve cela excitant, comme lui je pense ..
Cette formalité accomplie, je m’empare de mon « objet » avec audace : avant même de le sucer, je crois, je monte sur le lit, le chevauche, et guide son membre dressé dans ma chatte déjà humide pour m’empaler doucement dessus, ma jupe légèrement relevée .. il me regarde un peu sonné : « déjà ? » Eh oui, déjà, je prends possession de toi, tout de suite ! je prends mon dû !
Je réalise soudain qu’il avait souvent avec moi ce même comportement, particulièrement au donjon, dès qu’il m’avait attachée à l’anneau du sol, ou mise en cage, il me prenait un moment sans plus de préliminaires .. Les rôles sont maintenant inversés et il me semble que ça lui plait aussi.
Il est difficile de raconter les heures qui s’ensuivirent .. l’acte d’amour est à la fois tellement banal, et tellement singulier selon le contexte où il a lieu.
Il y a des moments où l’on a l’impression d’être des demi dieux , de créer des sensations, des volutes, des saveurs, il y a de la violence, de la possession, du défi, mais aussi des gestes de tendresse subreptice, deux mains qui se pressent, un baiser dans quelque endroit incongru, genou, sommet de l’épaule, des regards dans la pénombre, des paroles aussi, et même du raisonnement, avant la reprise des « hostilités »..
Je suis toujours éblouie par sa science amoureuse, pour quelqu’un qui se plaint d’une libido défaillante, cela me donnerait presque envie de rire, mais il le prendrait mal ! Et même j’irais plus loin : je veux bien qu’il ne m’aime plus s’il est capable de se conduire comme ça avec moi ..
Il n’a pas oublié le vin de citron, ce petit prétexte que j’avais trouvé pour se revoir, car en septembre il n’était pas encore « fait », et il m’avait promis de me le faire goûter, malgré tout. Moi j’ai amené les verres en plastique et entre deux étreintes, nous le dégustons, c’est frais, piquant, délicieux, stimulant, mais ce ne serait pas bon que je le trouverais bon quand même ..
Il avait été convenu qu’on ne parlerait pas de nous, de choses qui fâchent, mais bien sur, on le fait, un tout petit peu ..
Le constat est sans appel. Lui, c’est le petit garçon qui se lasse vite de ses jouets, moi, la petite fille qui ne veut pas descendre du manège, de la balançoire, qui veut encore aller à Holiday on Ice, au cirque, inlassable sur ce qui lui fait plaisir et faisant un caprice si on m’arrêtait en route!
Oui, on a des tempéraments tout à fait opposés sur des affects définis dès l’enfance : réaction à la frustration, besoin de posséder ou relatif détachement .. le comportement amoureux ultérieur dépendra de ces premiers ressentis, et inversement la pratique amoureuse nous y ramène indéfiniment. C’est bien de le savoir et de se le dire. Mais c’est difficile d’échapper à ces tous premiers conditionnements.
Puis, finie la psychologie, mon infatigable amant me reprend sans ambages, variant les plaisirs si bien que ma jouissance surgit par surprise, déclenchée aussi bien par de simples caresses au bon endroit, ou un pilonnage impitoyable, là tout au fond, qui me fait décoller, Seigneur, rien n’est aussi bon et bienfaisant que « ça », et dire que tant de femmes peuvent en profiter tous les jours, même toutes les semaines .. oui ce serait bien !
Car c’est à mon avis, le meilleur produit de beauté, fontaine de jouvence et compagnie .. Comment ai je pu m’en priver tout ce temps ?
Mais ce n’est pas seulement ça .. Pour le rassurer un peu je lui dis que je cherche, comme il voudrait que je le fasse pour se débarrasser de moi ( !) , un homme « plus proche de chez moi, et libre », je cherche oui, mais je dois bien lui avouer que lui seul me plait, m’inspire, on finit par se traiter de garce et de salaud, je ne sais plus à quel propos et ça décuple, bien sur, notre plaisir ..
A un moment, il va fouiller dans son cartable, et revient avec une petite boite bleue en carton. Cela ne ressemble pas à un écrin à bijou, faut pas pousser, mais .. il en extirpe une paire de menottes toutes neuves, qu’il entreprend aussitôt de me passer aux poignets ..
Il n’a pas eu le courage de retourner au donjon quérir une de ses nombreuses menottes, mais son envie a été tout de même suffisante pour qu’il aille les acheter « à l’armurerie rue d’Algérie, en montant sur la droite, tu vois ? »
Bien sur que je vois .. je lui demande s’il n’est pas gêné d’entrer et de demander une paire de menottes qui ne peut évidemment ne servir que pour ce genre de jeu .. ! Il paraît que non, pas spécialement, et pourtant il est » timide » au point de ne pas oser retourner au donjon, au risque d’affronter F. qui travaille en bas et doit s’inquiéter de son absence prolongée, s’il est vrai qu’il n’y retourne plus ! Ce début d'envie de jeux DS me touche et me ravit ..
Me voilà entravée, devant me débrouiller pour me retourner, me relever, et bien sur que ça l’amuse, et moi aussi .. Préfiguration du donjon du mois prochain, oui, du mois prochain ça il me l’a promis plusieurs fois et je sais qu’il tient toujours ses promesses, les bonnes comme les mauvaises … (les mauvaises étant surtout celle que plus rien ne sera comme avant, bien sur).
Je pense déjà à ce jour de janvier, je fantasme entre mimosas, bottines, sodomie (ça il me l’a promis aussi, car je doutais qu’il veuille encore de cette intimité si intime étant donnée la nouvelle donne), se revoir bientôt, priant pour que les eaux restent hautes ou remontent entre temps .. et qu’il ne coupe pas ses boucles brunes !..
Je crois que mes alarmes ont été vaines. Cette fois, il restera un grand moment avec moi, après l’amour, sans même se rhabiller, et nous parlerons encore en sirotant le vin de citron, avant qu’il n’aille prendre sa douche dans la belle salle de bain rose à l’italienne .. Je crois pouvoir compter au moins sur ça : je ne le rebute pas.
Voici tout de même le moment de se quitter, un peu beaucoup plus tard que d’habitude, et j’en suis bien fière et satisfaite .. J’ai du mal à le laisser partir, j’en oublie de lui rappeler l’essentiel maintenant : le sms ou le mail du lendemain, cela me semble tellement évident ..
Imprudente que j’étais ! Jamais je ne referai la même erreur, car, si je n’attendais rien dans la soirée bien sur, le lendemain matin, j’ai attendu en vain le bourdonnement de mon portable, et sur mon mini PC, l’arrivée d’un message en réponse au mien, tendre mais sans trop quand même, que je lui avais fait le soir même ..
Heureusement, une nouvelle balade sur le marché, le port etc .. le fait de refaire ma valise (toujours plus difficile que de la faire !) et de déguster l’excellent petit déjeuner du All Seasons, m’a permis d’amortir le choc. Je suis même allée faire un tour à la fameuse armurerie, c’était une vendeuse, en plus, il y avait toutes sortes d’armes, à feu comme blanches, une petite boutique à l’ancienne, adorable ..
Je n’étais pas encore triste, bien au contraire, en rentrant par le TER, puis le TGV, tous deux encore une fois miraculeusement à l’heure, ce soir, le mail salvateur même très court et très banal, m’attendait à coup sur.
Mon amant est un homme courtois et qui sait vivre. Normalement. Mais tout aussi normalement selon la fameuse "nouvelle donne" que j'ai du mal à intégrer, c'est deux jours durant que je me heurterai au silence avant de craquer, et qu'enfin il me répondra, sur un ton de plus en plus, comment dire .. encourageant ? Si bien que c'est encore le coeur léger que je sors de cette nouvelle aventure.