Un nouveau voyage vers T., et c’est le train encore, qui m’a déposée sur le pavé ensoleillé de la ville. Je ne suis venue en voiture
que quatre fois :
La toute première, bien que partant le lendemain, car conduire ma voiture me rassurait, me protégeait.
La semaine d’avril qui a suivi, comme si je voulais déjà m’installer dans le
midi !
La semaine d’halloween, de toute autre facture
Et enfin l’idyllique séjour de décembre dernier, quatre jours entiers au soleil d’hiver ou dans l’ombre du donjon, ou à la recherche
de petits ports cachés dans les environs.
Et cette fois ci, il valait mieux que je me rapproche le plus possible du centre ville, car le soir même, j’allais devoir jouer les
visiteuses nocturnes et clandestines rue P.
Oui, il avait répondu favorablement à mon défi, sans trop réfléchir, tout comme le
lendemain je répondrai au sien. Cet aspect « donnant-donnant » (ce furent ses propres mots) me dérangeait bien un peu, mais ..
Tout est dans ce « mais » !
J’ai prévu de venir à l’avance, avec la SNCF on ne sait jamais, mais cette fois ci tout alla bien et je pus profiter d’une jolie
balade en ville. La pluie annoncée trop vite par météo France n’était pas au rendez vous et le soleil brillait dans un ciel bleu euphorisant. J’ai maintenant mes bonnes adresses, pour le shopping
et la balade.
En dépit de ces distractions, une dînette au Mac Do et des photos que je m’appliquais à prendre astucieusement, le temps ne passa pas
très vite jusqu’au soir, l’avant dernier de l’heure d’hiver.
Refusant de penser à la soirée plus difficile du lendemain, je me réjouissais à l’avance de cette intrusion qui, je le savais, le
perturbait un peu. Regrettait il déjà d’avoir souscrit à cette idée folle ? En mesurait il vraiment les conséquences ?
Moi, je voulais juste au départ, visiter, prendre un verre, flirter peut être dans son
bureau, mais il en avait rajouté sans méfiance, parti dans un de ces délires impossibles à endiguer, entre désir et caprice ! Il voulait me prendre sur son bureau, m’installer sur la table
d’examen, les pieds dans les étriers, jouer au docteur en gardant sa blouse blanche, bref, le grand jeu !!
Ce mélange d’excitation et de crainte, cette brisure de tabou, quel effet cela lui ferait il au final, imprévisible et hypersensible
comme il est ?
Quant à moi je me sentais conquérante, amusée, curieuse surtout et contente de pouvoir enfin visualiser les choses quand il m’écrivait
« je descends », « j’ai mon associé à coté », .. Ce serait comme si j’y étais, toujours. Et lui, toujours me verrai dans les lieux, encore un truc pour me rendre
inoubliable !
C’est donc sans trembler que je me dirige, dès que j’ai le feu vert, deux rues plus bas, légère et court vêtue : jupe léopard,
bas top, bottines et petit pull noir sage sous ma veste en cuir. Parfumée, épilée, manucurée comme il se doit, les cheveux à peine secs car pas de sèchoir comme annoncé à l’hôtel ..
Je compose le code, sur un clavier heureusement légèrement éclairé, et le sésame s’ouvre, un lourd battant de bois .. je pénètre dans le hall d’entrée, cherchant la minuterie que je ne trouve pas ! Ah, peut etre ce bouton
rouge ? non, il est là pour rouvrir la porte, qui recommence sa manœuvre .. C’est donc à l’aveugle que je m’engage dans ce qu’il me semble être
un bel escalier d’honneur, avec rampe de fer forgé ..
Heureusement je n’ai qu’un étage à monter, et il n’y a qu’une seule porte : en m
‘approchant, je déclenche une lumière, enfin, et je vois que cette porte est bien la bonne, car elle est entrebaillée.
Je pousse le battant de bois, et te voilà juste derrière, dans le couloir, tu
m’accueilles en blouse blanche et avec le sourire, deux mois qu’on s’est séparés porte d'Italie dans un drôle d’état, et me voilà ce soir, en cliente tardive et clandestine, pour une fois
les rôles sont inversés, c’est moi qui suis à la porte, et toi derrière !
Je pensais pouvoir te faire le numéro de la cliente offusquée, justement, si tu me sautais dessus comme prévu, mais hélas, changement
de programme, car tu tiens à me faire les honneurs avant de .. m’honorer ! Et nous voilà partis pour un long périple à travers des pièces et des couloirs tous communicants, qui me semblent
tourner autour d’une immense salle d’apparat (la salle d’attente), dont les fenêtres à l’ancienne ouvrent sur les immeubles d’en face.
Partout, du parquet, des moulures, des tableaux aussi contemporains qu’impersonnels, et ces plafonds plus hauts que la normale qui donnent tout de suite une impression de luxe, car le luxe, c’est avant tout l’espace !
Puis nous descendons un escalier de service pour rejoindre le fameux « en bas ». Tout est éclairé, partout des instruments
mystérieux, des papiers entassés, des ordinateurs en veille ..Après ce parcours, nous remontons par des escaliers extérieurs, qui donnent sur une cour en forme de puits.
Nous revoilà dans ton bureau, Tu ouvres ton armoire, bizarrement à
l’opposé de ton bureau, et tu m’offres un cadeau, un livre de Benoîte Groult, « les vaisseaux du cœur », que je ne connais pas. En le lisant dans le TGV du retour, j’y trouve beaucoup
d’allusions à notre histoire, ton choix a été pertinent, une fois de plus .. Alors que mes films dorment dans ton armoire (je les ai vus !) sans que tu aies pris le temps de les voir !
Que t’offrir de non compromettant ? je n’ai jamais été douée pour faire les cadeaux, moi, c’est vrai !
Alors que je furète en parcourant les papiers épars sur le bureau et les icônes de son écran d’accueil, enfin tu passes tes mains sous
ma jupe, ou alors tu l’as fait un peu plus tôt je ne sais plus .. mais en un clin d’œil me voilà couchée sur le bureau pour une petite reprise de contact bien intéressante .. Sur le bureau
n’était pas contre le bureau dans ton idée, à ce qu’il me semble .. et je me trouve en situation périlleuse (e pericolo sporgesi) entre le clavier de l’ordinateur et l’arête de la table. .. Le
manque cruel de musique d’ambiance me noue, je suis incapable de toute activité sexuelle non accompagnée d’une douce musique, au grand désespoir et incompréhension de mes amants ! Mon
prochain cadeau sera peut etre une paire d’enceintes pour cet ordinateur muet ?
Mais il m’entraîne maintenant vers la salle d’examen que j’ai aperçue tout à l’heure, allume la lampe articulée – heureusement de
lumière chaude et pas trop forte - près de la table turquoise inclinée dans l’angle de la petite pièce. Je m’installe en jubilant, les pieds dans les
étriers, insouciante des possibles regards des voisins d’en face, car les volets ne sont pas fermés.
Tu fais semblant d’être très pro, enfilant des gants en latex, fouillant dans un tiroir pour en tirer un instrument transparent que je
ne connais pas, silencieux et imperturbable, jouant le mystère ..
« Qu’est ce que c’est ? » demandé je un peu inquiète « Un spéculum ». Ah bon ? dans mon souvenir, le
spéculum était cet instrument entre la tenaille et la loupe, tout en métal froid et lourd, délicieusement anxiogène .. Principe de précaution quand
tu nous tiens ! Maintenant tout est aseptisé, jetable, mais après tout il est normal quand on « joue au docteur », que les jouets
soient .. en plastique !
Il n’empêche, l’instrument me pénètre, m’oblige à m’ouvrir .. et après la photo réglementaire, tu t’empresses de le retirer et de ..
le remplacer, non sans avoir réglé la table grinçante à bonne hauteur !
Comme c’est bon, cette transgression de l’usage habituel de la table médicale qui gémis sous notre double poids ! En plus c’est
la première fois que tu me prends tout habillé, je trouve ça très excitant, et j’en tire aussitôt parti, agrippant la ceinture de ton jean ouvert, pour donner à tes assauts le rythme qui me
plait, et à ce stade, qui est le cavalier et qui est la monture ? On ne sait plus ! Mais c’est follement bon ! Cette ceinture m’a souvent fait fantasmer et je lui réservais
plusieurs usages dans mes rêves, mais pas celui là !
Hélas, le téléphone sonne à cet instant torride ! Jusque là il nous avait fichu la paix. Même si tu t’en empares très vite, me
laissant seule sur la table, ça n’a pas l’air de répondre .. Tu tentes plusieurs manœuvres, te perds en conjectures, ça faisait partie des
risques.
J’ai fait semblant de comprendre l’organisation bizarre des urgences nocturnes. Je me relève et me promène alentours, attirée par la magnificence de la salle d’attente, où tu ne tardes pas à me rejoindre, dans la
pénombre.
Tu ne réponds pas à mes questions concernant ce coup de fil muet, tu me dis juste l’heure déjà tardive, 22h20, déjà deux heures que nous sommes là ? et tu me pousses doucement sur le canapé élégant de la salle d’attente. Mon Dieu ! l’idée des nobles postérieurs qui vont se poser sur les coussins où tu me
prends en levrette avec cette frénésie .. me murmurant des mots .. des mots crus et des mots d’amour, cette idée là me donne le frisson, mon passage ici restera impérissable, que tu le veuilles
ou non, et pour longtemps ..
J’ai le temps de me dire .. on va si bien ensemble, ça se passe tellement bien, tellement fort, pourquoi cette soirée de demain ?
pourquoi prendre d’autres risques, se confronter à de telles inconnues ?
Sans conclure (je suppose que c’est pour etre en forme demain justement ?) tu m’offres un verre dans ton bureau de nouveau, mais
nous sommes cette fois assis à la place des visiteurs, sur des fauteuils « metteur en scène » en cuir noir.
Dans le frigo de la salle de réunion, tu es allé chercher ton premier vin d’orange, qui
a l’age de notre dernière rencontre, deux mois.
Nous passons un long moment délicieux à deviser, nous faire des confidences .. tu me dis en passant que tout à l’heure, sans doute ..
tu voudras me prendre « jusqu’au bout », je n’y crois pas, il vaudrait mieux pas, je me concentre sur le vin d’orange et ce moment si précieux, car assez rare finalement.
Mais je me retrouve à nouveau, je ne sais comment, allongée sur l’étroit bureau, tu t’es dévêtu cette fois, pour être plus à l’aise,
et je fais tomber les antiques disquettes et d’autres choses encore, à grand bruit, sur le sol ! Entre trouble et fou rire, je me tortille sur
cet inconfortable planche et fait encore tomber de nouveaux trucs ! Il ne s’agirait pas que la technicienne soit en bas et entende ces bruits inquiétants, qui ressemblent à des bruits de
lutte, appelle la police, etc .. Je ne veux pas y penser, tu vas et tu viens, et .. tu viens !
J’ai gagné, sans le vouloir vraiment, mais j’ai cette impression, tu n’as pu me résister, j’adore ça ! Et demain, tu paieras sans
doute cette imprudence, je le crains (c’est ce qu’il s’est effectivement passé) – Je me demande si ce n’était pas mon vœu secret, en fait ..
Il est presque minuit, l’heure où Cendrillon doit rentrer, et le beau prince remonter dans son carrosse noir garé non loin de là, ayant pris soin d’effacer toutes traces d’effraction ..
Je repars seule comme je suis venue, dans la nuit tiède de printemps, il est minuit mais il y a encore pas mal de monde dans la
rue, j’aime tellement cette ville jadis méprisée ! Je me sens bien, demain est un autre jour ..